- INTERVIEW
Interview au journal Le Monde
Interview de Frank Elderson, membre du directoire de la BCE, menée par Eric Albert
25 July 2024
Votre travail consiste à superviser les banques afin de garantir la stabilité financière. Le changement climatique est extrêmement préoccupant, mais en quoi a-t-il un impact sur la stabilité financière?
Il y a deux sortes de risques: les risques physiques et ceux liés à la transition climatique. Les risques physiques sont clairs: incendies de forêt, inondations, sécheresses… Si vous êtes une banque et que vous êtes exposée à des maisons construites dans des zones inondables, cela a une incidence sur votre risque de crédit. Si vous êtes exposée à des maisons construites dans des zones sujettes aux incendies de forêt, et que les compagnies d'assurance sont de moins en moins enclines à couvrir ce type de dommages, cela augmente votre risque de crédit.
Par ailleurs, il existe des risques de transition. La bonne nouvelle, c’est que les gouvernements ne restent pas les bras croisés face au réchauffement climatique mais ont pris l’engagement de conduire une transition ordonnée vers une économie neutre en carbone. Mais cela crée également des risques pour les banques. Une banque est exposée, par exemple, si elle finance des entreprises qui fabriquent des voitures à moteur à explosion et que cette technologie devient interdite. Les banques doivent donc surveiller ces entreprises et s’assurer qu’elles disposent d'un plan de transition compatible avec la nouvelle législation.
Face à ces risques, que demande la BCE aux banques?
En 2019, nous avons entamé un dialogue avec elles. Moins de 25 % des banques avaient travaillé sur la gestion de leurs risques liés au climat. Ce n’était pas du tout suffisant. Nous avons donc publié en 2020 nos attentes prudentielles liées au climat et à l’environnement, qui décrivaient comment elles doivent évaluer ces risques, en fixant fin 2024 comme date butoir.
Pour clarifier: ce que vous demandez aux banques en tant qu’autorité prudentielle, c’est simplement d’identifier les risques. Vous ne leur demandez pas de verdir leurs politiques?
Exactement. J’ai souvent dit dans mes discours que nous n’élaborons pas de politiques relatives au climat et à la nature. C’est l'affaire des politiciens, qui sont élus, alors que nous ne le sommes pas. Notre mandat n’est pas de définir des politiques en matière de climat ou de nature, mais de veiller à ce que les banques soient sûres et solides. Et, pour ce faire, nous devons nous assurer que les banques gèrent l’ensemble de leurs risques : cyber, géopolitiques ou liés au climat. Il est donc possible que les banques continuent à financer des entreprises fortement émettrices de gaz à effet de serre, mais si elles le font, elles doivent gérer les risques qui en découlent.
Dans ce cadre, où en sont les banques dans l’évaluation de leurs risques climatiques ?
En 2021, nous leur avons demandé de procéder à des auto-évaluations. Selon leurs déclarations, 90% de leurs pratiques ne respectaient pas, ou seulement en partie, nos attentes. En 2022, nous avons procédé nous-mêmes à une évaluation approfondie des banques. Notre conclusion a été que le verre se remplissait, mais n’était pas encore à moitié plein. Nous leur avons demandé d’accélérer et nous avons fixé des objectifs intermédiaires. Le premier rendez-vous était en mars 2023, date à laquelle toutes les banques devaient avoir mené une évaluation du caractère significatif de leurs risques.
Par la suite, en novembre 2023, vous avez pour la première fois annoncé que vous envisagiez d’imposer des astreintes aux banques qui n’avaient pas réalisé ces évaluations des risques. Où en êtes-vous?
En mars 2023, la plupart des banques étaient dans les temps et avaient respecté nos exigences, mais pas toutes. Pour 22 d’entre elles, nous avons publié des décisions comprenant des exigences contraignantes et prévoyant d’éventuelles astreintes. Nous leur avons accordé un délai supplémentaire, jusqu’au printemps 2024, pour réaliser l’évaluation du caractère significatif de leurs risques, avant que des astreintes puissent être imposées.
C’était donc il y a plusieurs mois. Où en sommes nous ?
Ce que je peux dire publiquement, c’est que la plupart des 22 banques, mais pas toutes, se sont conformées à nos exigences.
Cela signifie-t-il qu’une astreinte a été infligée à une poignée d'entre elles?
Je ne peux pas répondre à cette question à ce stade, parce que le processus est en cours. Les banques ont le droit d’être entendues et cela prend du temps. J'espère être en mesure de faire connaître le résultat vers la fin de l'année ou début 2025. Pendant ce temps, nous évaluons aussi, selon une procédure identique, la situation des banques concernant nos exigences supplémentaires, qui vont au-delà de l’évaluation du caractère significatif des risques.
Quel est le montant potentiel des astreintes ?
La législation prévoit qu’elles peuvent aller jusqu’à 5% du chiffre d'affaires journalier moyen d’une banque par journée d’infraction, jusqu’à six mois maximum. Mais c’est un maximum.
Certains vous reprochent de ne pas aller assez loin dans la lutte contre le réchauffement climatique. Emmanuel Macron a proposé en avril que la BCE ait « au moins un objectif de croissance, voire un objectif de décarbonation ». Que répondez-vous à cela?
Je suis juriste de formation, et celui qui a reçu un mandat n'est pas celui qui doit en décider. C'est à d'autres qu’il appartient de définir ce mandat. Je précise simplement que le traité (sur le fonctionnement de l’Union européenne) stipule très clairement que notre objectif principal est d'assurer la stabilité des prix, mais que nous avons aussi un mandat secondaire explicite, selon lequel, sans préjudice de cet objectif principal, nous devons contribuer aux politiques économiques générales de l'Union, ce qui inclut les politiques climatiques.
Dans le cadre de notre mandat, nous avons déjà fait beaucoup. Nous avons réorienté nos achats d’obligations d’entreprises, pour privilégier les entreprises vertes. Nous sommes en train de décarboner plusieurs de nos portefeuilles. Si nous commencions à élaborer des politiques climatiques, ce serait illégal et nous mettrions en péril notre crédibilité. Mais il ne faut pas sous-estimer ce que nous pouvons, et devons faire dans le cadre de notre mandat.
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