Options de recherche
Page d’accueil Médias Notes explicatives Recherche et publications Statistiques Politique monétaire L’euro Paiements et marchés Carrières
Suggestions
Trier par
Patrick Montagner
ECB representative to the the Supervisory Board
  • DISCOURS

Évolution de la supervision bancaire : comment simplifier dans un environnement toujours plus complexe?

Intervention de M. Patrick Montagner, membre du conseil de surveillance prudentielle de la BCE, à l’AEFR

Paris, le 9 septembre 2025

Mesdames et Messieurs,

La réglementation et la supervision bancaires sont depuis quelques mois au centre de critiques, émanant des entités supervisées mais aussi de certains gouvernements. Il leur est reproché d’être supposément trop complexes et de freiner la croissance économique en imposant des exigences excessives aux institutions financières, notamment aux banques sur lesquelles je concentrerai mon intervention. Face aux défis économiques et géopolitiques contemporains, ainsi qu’aux transformations profondes du financement de l’économie, dont les banques n’assument qu’une partie, il est essentiel de prendre du recul pour appréhender les enjeux qui sous-tendent la complexité de ce secteur et de sa réglementation.

La Banque centrale européenne (BCE), en tant que superviseur direct des 114 plus grandes banques de la zone euro, en a pleinement conscience : la mission que nous a confiée le législateur consiste à préserver la stabilité financière que nos concitoyens attendent légitimement de nous, tout en nous adaptant à des risques en mutation permanente. Cette supervision ne peut être statique dans un monde économique et financier qui, lui, ne l’est jamais.

Permettez-moi d’aborder avec vous aujourd’hui deux réflexions fondamentales : d’abord, la nature intrinsèquement évolutive de notre activité de supervision, puis la réalité selon laquelle la complexité réglementaire répond nécessairement à la complexité croissante des acteurs que nous supervisons.

La supervision bancaire, une activité en évolution constante

La supervision bancaire n’est jamais figée. Elle évolue selon un processus d’adaptation continue aux risques émergents et aux transformations des entités surveillées. Parfois, des ruptures majeures marquent cette évolution, comme ce fut le cas en novembre 2014 au moment de la création du mécanisme de surveillance unique (MSU), mais l’adaptation demeure fondamentalement un processus continu.

Depuis 10 ans, nos manuels, nos guides et nos procédures évoluent régulièrement. Le meilleur exemple est sans doute le SREP, qui est notre processus annuel de contrôle et d’évaluation prudentiels des banques. Ce processus a été révisé à de nombreuses reprises depuis sa mise en place en 2015 au sein du MSU, intégrant par exemple progressivement les enseignements des crises, les risques climatiques, les risques cyber, ou encore suivant les évolutions réglementaires.

Pour le rendre encore plus efficace, le SREP a fait l’objet d’une réforme en profondeur à la suite de la publication du rapport[1] du « wise person group » en 2023. Nous avons ainsi introduit, dès 2023, une approche pluriannuelle qui nous permet de nous concentrer sur les risques les plus importants pour chaque banque, plutôt que de tout revoir avec la même intensité chaque année. Cette évolution vise une supervision plus ciblée en fonction des risques, sans affaiblir nos normes prudentielles.

Cette année, nous avons aussi repensé les décisions SREP pour en renforcer la lisibilité. Plus concises, elles concentrent désormais les messages-clés, tels les exigences prudentielles et les risques majeurs, en une dizaine de pages, avec des annexes pour les détails[2]. Les résultats de cette simplification sont déjà tangibles. Le nombre de « mesures » correctives communiquées dans ces décisions SREP est passé d’environ 700 en 2021 à moins de 400 prévues pour 2025. Cela signifie que nous nous concentrons sur les actions les plus structurantes. Mais les banques restent pleinement responsables de remédier à tout manquement, y compris ceux identifiés en dehors du SREP.

Cette dynamique s’illustre également parfaitement lorsque l’on compare la supervision bancaire de 1999 à celle d’aujourd’hui. Prenons l’exemple français, puisque nous sommes à Paris. En 1999, le secteur était moins concentré, la plupart des institutions présentaient des bilans de quelques centaines de milliards d’euros seulement et opéraient dans un environnement concurrentiel essentiellement national, même si elles avaient déjà des implantations en Europe et dans le monde. Aujourd’hui, avec des actifs prudentiels totaux représentant plus de trois fois le PIB et une présence dans de nombreux pays, elles révèlent une complexité opérationnelle sans commune mesure avec celle d’il y a vingt-cinq ans.

Les banques françaises actuelles sont certes les héritières des établissements de 1999, mais elles sont devenues radicalement différentes. Leurs activités de marché se sont sophistiquées. Certains de leurs modèles de risques intègrent l’intelligence artificielle tandis que leurs opérations s’appuient sur des systèmes technologiques complexes et sont exécutées à des vitesses inimaginables en 1999. Des paiements instantanés aux règlements T+1 et du trading algorithmique à la tokenisation d’actifs numériques, désormais, les banques traitent des opérations et affrontent des risques qui peuvent se matérialiser en temps réel, ce qui requiert des cadres prudentiels capables de rivaliser avec cette rapidité opérationnelle.

Cette transformation des banques européennes impose naturellement une évolution parallèle de nos méthodes de supervision. Nous ne pouvons superviser les institutions de 2025 avec les outils conceptuels de 1999, pas plus que nous ne pourrions analyser les risques climatiques et naturels des banques avec les grilles de lecture conçues et mises en œuvre lors de la crise des subprimes. Là où nous analysions hier les portefeuilles de crédit sur des cycles de seulement quelques années, nous devons aujourd’hui intégrer des scénarios climatiques à beaucoup plus long terme. J’ajoute que cette évolution ne signifie pas que les risques anciens ont disparu et que la réponse réglementaire qui leur a été apportée devient inutile ou obsolète.

Cependant, cette évolution nécessaire ne doit pas nous conduire à accepter aveuglément toute forme de complexité. Notre rôle de superviseur implique au contraire d’identifier et de réduire les complexités injustifiées, notamment au sein de nos processus de supervision, ainsi que celles qui résultent de fragmentations réglementaires ou de dispositions dépassées, tout en préservant la résilience du système bancaire.

La complexité réglementaire répond à la complexité des acteurs

La complexité réglementaire actuelle répond à une demande réelle et pressante de la société. Contrairement à ce que prétendent certaines critiques, nos concitoyens attendent des règles et de la protection. Ils veulent savoir que leurs dépôts sont sécurisés, que leurs fonds seront disponibles à tout moment, que les risques des banques sont maîtrisés, et que les leçons des crises passées ont été intégrées dans les dispositifs de surveillance.

Cette demande de protection impose que les règles soient adaptées à chaque contexte spécifique. Le particularisme des situations, qu’il s’agisse d’une banque de détail régionale ou d’une institution systémique avec une empreinte internationale, exige une certaine granularité réglementaire qui peut paraître complexe, mais qui reflète la diversité effective du paysage bancaire européen.

Il convient par ailleurs de rappeler que ce n’est pas l’administration ou même le superviseur qui fait les lois, mais bien le législateur. Les compromis parlementaires, les exemptions et ajustements résultent de ce processus démocratique européen. Chaque dérogation, chaque adaptation sectorielle, chaque mesure de proportionnalité traduit un arbitrage politique souvent légitime entre différents impératifs : stabilité financière, compétitivité économique, spécificités nationales. Dans un marché unique où la libre circulation des capitaux est en principe la règle, des normes communes garantissent un niveau de protection équivalent pour tous les épargnants européens, qu’ils résident à Chambéry, à Sienne ou à Wiesbaden. Cela n’empêche pas toutefois que les États membres aient parfois laissé subsister des règles nationales, dès lors qu’aucune règle européenne ne s’y oppose.

En plus des règlements contraignants, nous publions des orientations visant à clarifier notre approche des règles prudentielles. Les institutions nous demandent légitimement de la prévisibilité et de la transparence dans notre supervision. Cette demande se traduit par la publication de guides, d’orientations et de questions-réponses qui constituent autant d’éléments de clarification de nos pratiques. Prenons l’exemple concret du processus de « fast-track » que nous développons actuellement pour l’évaluation des transferts significatifs de risque dans les opérations de titrisation : nous réduisons substantiellement les délais d’instruction pour les opérations suffisamment simples, mais cette accélération s’accompagne d’une définition plus précise et plus détaillée des exigences d’éligibilité. La simplification procédurale exige ainsi, paradoxalement, un texte plus détaillé sur la forme, dans un souci de transparence de nos critères d’évaluation. Et, en définitive, la réussite de ce processus de « fast-track » dépendra de la capacité des banques à structurer leurs opérations de titrisation de façon suffisamment normalisée.

Conclusion

Le message que je souhaite vous faire passer aujourd’hui repose sur un équilibre délicat mais indispensable.

D’une part, la simplification reste possible et nous, superviseurs, écoutons et nous adaptons aux préoccupations légitimes qui s’expriment. Notre mission implique d’identifier et de réduire les complexités injustifiées qui résultent soit de la réglementation, du fait de superpositions et de la fragmentation, voire de dispositions devenues obsolètes, soit aussi de nos pratiques de supervision que l’expérience nous permet d’alléger. Nous pouvons toujours revoir certaines règles, rationaliser certaines procédures, clarifier certaines attentes. Cette démarche d’amélioration continue fait partie intégrante de notre mission et de notre responsabilité.

D’autre part, nous ne pouvons ignorer que la complexité des banques et l’évolution constante des risques imposent une vigilance particulière. Les défis auxquels nous faisons face, comme la transformation numérique, les risques climatiques, les évolutions géopolitiques, ne se prêtent pas à des solutions simples parce qu’ils ne sont pas, par nature, des problèmes simples.

La résilience dont fait preuve le secteur bancaire européen depuis plusieurs années montre qu’une réglementation et une supervision fortes constituent des garde-fous essentiels. Les affaiblir serait risquer d’ouvrir la porte à de futures crises systémiques. Cela justifie notre vigilance, légitime notre existence en tant que superviseur et nos exigences, et cela explique aussi notre adaptation constante.

La simplification que nous devons rechercher n’est donc pas celle qui consisterait à ignorer la complexité du réel, mais celle qui permettrait de traiter cette complexité de manière plus efficace, plus transparente et plus proportionnée. Il nous appartient de simplifier nos pratiques de supervision sans en affaiblir la portée.

C’est dans cet esprit que nous continuerons à faire évoluer nos pratiques, en gardant à l’esprit que notre mission première demeure la protection de la stabilité financière européenne et, à travers elle, la sécurité de l’épargne de nos concitoyens et leur confiance dans les institutions financières.

Merci de votre attention.

  1. BCE (2023) - « Assessment of the European Central Bank’s Supervisory Review and Evaluation Process »

  2. Voir également, pour plus de détails, BCE (2025) – article de blog de Sharon Donnery - Septembre

CONTACT

Banque centrale européenne

Direction générale Communication

Reproduction autorisée en citant la source

Contacts médias
Lancement d’alerte