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Le SREP réformé pour une supervision plus simple et efficace
Contribution par Patrick Montagner, Membre du Conseil de surveillance de la BCE, pour Revue Banque
3 July 2025
En 2024, la Banque centrale européenne (BCE) a décidé de simplifier le Supervisory Review and Evaluation Process. Autrement dit, le SREP, son processus de surveillance et d’évaluation prudentielle. Le SREP fournit le cadre méthodologique utilisé par les autorités de supervision bancaire pour évaluer de manière régulière, homogène et structurée la solidité et la gestion des risques des banques supervisées par la BCE. Soit les 114 banques importantes des vingt pays de la zone euro et de la Bulgarie, qui a conclu une coopération rapprochée avec la BCE. Au total, 82 % des actifs bancaires de ces pays !
Avec cet exercice, les superviseurs examinent en particulier les modèles d’activité des banques, leur gouvernance interne, les risques pesant sur leurs fonds propres et les risques de liquidité. Cette méthodologie s’inscrit dans le cadre normatif européen, notamment les lignes directrices de l’Autorité bancaire européenne[1].
Les trois enjeux majeurs de la réforme
L’évaluation résultant du SREP permet tout à la fois d’obtenir une vision d’ensemble de chaque banque, mais aussi une appréciation plus fine des forces et faiblesses par grands types de risques. Elle sert aussi à mieux calibrer l’intensité des contrôles. Autre utilité : faciliter la comparaison entre établissements ou par groupe de pairs. Enfin, le SREP sert de fondement à la détermination des exigences dites de pilier 2, c’est-à-dire des exigences en fonds propres qui vont au-delà des minima requis par la réglementation pour prendre en compte des risques propres à chaque établissement et qui ne sont pas ou mal représentés par le pilier 1. Pour mémoire, ce dernier couvre uniquement les exigences minimales en fonds propres au titre du risque de crédit, du risque de marché et du risque opérationnel, selon des méthodologies standardisées ou fondées sur des modèles internes validés par le superviseur.
Depuis la création du Mécanisme de supervision unique (MSU) en 2014, le SREP a considérablement évolué pour s’adapter aux nouveaux risques et aux évolutions réglementaires. Un groupe d’experts internationaux indépendants (Wise Person Group) a analysé ce dispositif dans un rapport publié en avril 2023[2]. Parmi ses préconisations : alléger les processus, renforcer la priorisation basée sur les risques et recourir plus systématiquement aux mesures qualitatives pour corriger les faiblesses des modèles d’affaires et de gouvernance des établissements. Ces recommandations ont été intégrées dans la révision des processus de supervision initiée en 2024. Présentée en mai 2024 par la présidente du Conseil de surveillance prudentielle, Claudia Buch, cette réforme encourage une supervision davantage fondée sur les risques les plus significatifs, tout en promouvant un jugement qualitatif adapté à chaque banque. Elle s’articule autour de plusieurs axes majeurs.
Des décisions plus rapides et plus simples
Tout d’abord, les activités de supervision sont mieux alignées avec les priorités[3] prudentielles annuelles de la BCE afin de planifier les contrôles sur l’ensemble de l’année, en tenant compte de l’environnement économique ainsi que des risques spécifiques à chaque banque. L’évaluation pluriannuelle, initiée en 2023, a été pleinement mise en œuvre. Concrètement les risques des banques continuent d’être évalués de manière globale, mais les équipes de surveillance prudentielle conjointes – les Joint Supervisory Teams (JST), regroupant du personnel de la BCE et des superviseurs nationaux concernés – se concentrent chaque année sur certains risques, les autres sont évalués plus en détail ultérieurement. Ainsi, les ressources de supervision sont allouées en fonction de l’évolution effective des risques identifiés.
Le calendrier SREP a été raccourci. Les évaluations des risques non liées à la publication des comptes financiers annuels au cours du premier trimestre, notamment les modèles d’activité, la gouvernance interne et d’autres questions qualitatives, sont désormais réalisées tout au long de l’année, à la discrétion des équipes de supervision. Dès cette année, la rédaction des décisions SREP sera réduite pour se concentrer sur les principales préoccupations de la BCE. Il y sera énoncé précisément les corrections attendues des établissements. Les mesures de proportionnalité ont également été accentuées, notamment pour les banques de plus petite taille. Les établissements au profil de risque stable font l’objet d’une mise à jour du SREP sur une base biennale, sauf en cas de changement significatif de leur situation.
Enfin, une intégration plus poussée des différentes modalités de supervision – inspections sur place, analyses approfondies et revues thématiques – permettra une meilleure coordination pour offrir aux établissements supervisés une vision plus claire des priorités du superviseur et des améliorations attendues. L’adoption d’outils numériques avancés et le recours à des systèmes analytiques plus sophistiqués, notamment l’intelligence artificielle, permettent d’optimiser la gestion des données et l’allocation des ressources. Ces changements seront pleinement déployés au cours du cycle SREP 2026.
Changement sur le calcul des exigences de pilier 2
L’annonce a été faite le 11 mars 2025[4] : la méthode de calcul des exigences de pilier 2 fait également l’objet d’une évolution pour la rendre plus simple et plus transparente. Le lien étroit entre le SREP et ces exigences est préservé et même renforcé. Pour rappel, ce calcul a toujours été fondamental pour être certain que les banques sont correctement capitalisées. Cette solidité financière a notamment permis aux banques européennes de résister aux chocs économiques des dernières années. Exemples : la pandémie de Covid-19, la volatilité provoquée par la crise des banques régionales américaines début 2023 ou les incertitudes macroéconomiques liées aux tensions géopolitiques actuelles.
Cette révision poursuit deux objectifs principaux : renforcer la robustesse de l’approche en évitant la double comptabilisation des risques ; simplifier les procédures pour mieux prendre en compte les risques les plus importants ainsi que le jugement du superviseur. La nouvelle approche repose toujours sur une évaluation globale du profil de risque de chaque banque, évaluée via « un score de risque global ». Il constitue à la fois la base du calcul du pilier 2 et l’élément central des discussions avec les dirigeants des banques.
Le jugement du superviseur renforcé
L’ancienne méthode s’appuyait directement sur les résultats des ICAAP (Internal Capital Adequacy Assessment Process). Avec ce processus interne d’évaluation de l’adéquation des fonds propres, les banques évaluent elles-mêmes leurs besoins internes en capital au-delà du pilier 1, notamment par des tests de résistance complets et une planification de leur capital interne.
La révision de la méthodologie dissocie la valeur quantitative initiale du pilier 2 du résultat quantitatif de cet exercice interne aux banques. L’accent est désormais mis sur le jugement du superviseur : il peut ainsi ajuster les exigences quantitatives en fonction de son évaluation des risques spécifiques non couverts par pilier 1.
Cette démarche se traduit par une réduction du nombre d’étapes intermédiaires, ce qui permet de hiérarchiser plus aisément les différents types de risques (crédit, marché, opérationnel, etc.) tout en évitant les doubles comptages.
Pas de fortes modifications d’exigence en fonds propres
Concrètement, les exigences de pilier2 sont désormais directement liées aux domaines de risque les plus pertinents identifiés par le SREP. Les risques plus élevés entraînent des scores SREP moins favorables et, par conséquent, des exigences de pilier 2 plus importantes. Ce changement rendra la détermination du capital additionnel exigé plus transparente. Ces ajustements permettront aux banques de mieux comprendre leurs exigences de pilier 2 et ainsi d’agir de manière plus ciblée.
Par ailleurs, puisque la nouvelle méthodologie s’intègre étroitement au processus SREP plus large, lequel repose toujours sur l’évaluation du profil de risque de chaque banque par le superviseur, il n’est pas attendu qu’elle provoque des modifications significatives en moyenne des exigences en fonds propres au titre du pilier 2.
Un plus fort usage du pouvoir de surveillance
Le respect des exigences prudentielles constitue un principe fondamental de la stabilité du système financier européen. La BCE se doit d’agir rapidement dès qu’une entité supervisée présente des défaillances ou des pratiques inadéquates. Pour faire face aux situations où les établissements tardent à remédier à ces défaillances, le législateur a doté la BCE d’un éventail complet d’outils de supervision, utilisés de manière proportionnée.
L’article 16 du règlement MSU[5] confère ainsi à la BCE une large gamme « de pouvoirs de surveillance », adaptés à la situation spécifique de chaque banque en matière de défaillance et de non-respect des exigences prudentielles. Exemples : des exigences de capital supplémentaire, le renforcement des dispositifs et stratégies, la présentation d’un plan de mise en conformité avec les exigences en matière prudentielle, l’application d’une politique spéciale de provisionnement, la limitation de certaines opérations ou activités économiques, la limitation de la rémunération variable et des distributions aux actionnaires, etc. Ces outils sont particulièrement utiles pour remédier aux causes profondes de ces faiblesses, notamment dans la gouvernance interne ou la gestion des risques des établissements.
Les rapports internationaux sur la crise bancaire de mars 2023 ont ainsi recommandé un usage étendu de ces outils pour inciter les banques à prendre des mesures correctives le plus rapidement possible. De même, le rapport du groupe d’experts indépendants consulté avant la réforme a encouragé la BCE à exploiter de manière plus systématique l’ensemble de ses outils de supervision dans le cadre du SREP, ce qui est un des axes de la réforme actuelle.
Le mécanisme d’escalade
Le mécanisme d’escalade de la BCE se veut flexible et repose sur le jugement des équipes de supervision, tout en s’adaptant à la gravité des constats. Cette approche inclut également un recours plus large aux exigences qualitatives contraignantes, comme les mesures d’exécution.
Les mesures d’exécution que la BCE a directement à sa disposition sont les astreintes. Elles sont imposées aux banques qui ne respectent pas de façon continue les obligations leur incombant en vertu de règlements ou de décisions de la BCE. L’objectif est de pousser les banques à s’y conformer le plus rapidement possible, sachant qu’elles doivent verser, pour chaque jour d’infraction, un montant pouvant représenter jusqu’à 5 % de leur chiffre d’affaires quotidien moyen, pendant une durée maximale de six mois. Et au terme de ce délai, d’autres mesures peuvent être prises ! Ces montants imposés sont publiés sur le site de la BCE.
La supervision des risques liés au climat et à l’environnement illustre bien cette démarche. La BCE a fixé des délais pour que les banques améliorent leurs pratiques sur les attentes du superviseur dans ce domaine. La BCE a émis des décisions contraignantes, assorties de la possibilité d’astreintes, pour 18 des 23 banques n’ayant toujours pas réalisé cette obligation lors de la première échéance en mars 2023. Une nouvelle évaluation est en cours.
De meilleurs échanges attendus
Le SREP est un élément central de la supervision exercée par la BCE. Cette évaluation systématique des risques auxquels les banques sont confrontées et de leur gestion n’est pas nouvelle. Des dispositifs similaires existent depuis de nombreuses années dans d’autres juridictions. Par exemple, aux États-Unis, le système de notation CAMEL (Capital adequacy, Asset quality, Management, Earnings, Liquidity et, plus tardivement, Sensitivity to market risk) a été introduit dès 1979. Ces évaluations existaient aussi le plus souvent dans les pays européens, mais la décision de confier à la BCE le rôle de superviseur unique a permis d’harmoniser le dispositif sur la base des orientations de l’ABE[6].
En 2025, la BCE continue d’adapter ses méthodes. La réforme du SREP propose une approche plus flexible, ciblée et transparente. La révision des exigences du pilier 2 permettra d’assurer une adéquation encore plus fine entre le niveau de risques identifié et les niveaux de fonds propres requis, garantissant ainsi une résilience accrue face aux crises potentielles.
En outre, la capacité du SREP à transformer la détection des dysfonctionnements en actions correctives efficaces, notamment grâce à une utilisation renforcée des pouvoirs de surveillance, donne au superviseur les moyens d’intervenir rapidement et de manière proportionnée. La modernisation du SREP s’inscrit ainsi dans une démarche continue de simplification et d’amélioration de l’efficacité de la supervision bancaire européenne. Elle devrait favoriser une communication plus claire et constructive entre les superviseurs et les établissements.
ABE (2014), Orientations de l’ABE sur les procédures et les méthodologies communes à appliquer dans le cadre du processus de contrôle et d’évaluation prudentiels (SREP) (ABE/GL/2014/13) du 19 décembre 2014, 19 décembre.
BCE (2023), Assessment of the European Central Bank’s Supervisory Review and Evaluation Process (évaluation du processus de contrôle et d’évaluation prudentiels de la Banque centrale européenne), 17 avril.
BCE (2024), Priorités prudentielles pour 2025-27.
Buch, C. (2025), “Reviewing the Pillar 2 requirement methodology”, Supervision Blog, 11 mars.
EBA (2022), Orientations sur les procédures et les méthodologies communes révisées à appliquer dans le cadre du processus de contrôle et d’évaluation prudentiels (SREP) et des tests de résistance prudentiels , 18 mars.
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