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Edouard Fernandez-Bollo
ECB representative to the the Supervisory Board
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Entretien avec Les Échos

Entretien accordé par Édouard Fernandez-Bollo, membre du conseil de surveillance prudentielle de la BCE, à Thibaut Madelin le 23 février 2023 et publié le 28 février

28 février 2023

Quel est le but de la future autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent (AMLA) ?

La lutte anti-blanchiment est un des domaines où l’européanisation a le plus de sens. C’est d’abord une question d’efficacité. Face à des circuits de blanchiment transnationaux qui, eux, sont très efficaces, nous avons besoin d’une approche unifiée du côté de la prévention.

Deuxièmement, cela apporte un bénéfice concret d’européanisation au fonctionnement du système bancaire, et donc aux clients. Aujourd’hui, si vous voulez ouvrir un compte dans une banque européenne, vous avez vingt-sept types de dossiers d’identification du client. Cette initiative peut changer la vie quotidienne des banques comme de leurs clients et aider à unifier le marché bancaire européen.

Troisième élément : cela donne à l’Europe un poids international beaucoup plus important. À partir du moment où on a une surveillance plus efficace et des normes unifiées, on est une référence pour un sujet qui a une dimension internationale très forte.

De quels moyens doit-elle disposer pour être réellement efficace ?

D’abord de moyens juridiques. Si l’autorité n’a pas de pouvoir, elle ne sert à rien. Ensuite de moyens effectifs pour exercer ce pouvoir : des personnes, des ressources et des données. L’enjeu de l’accès et du traitement des données est gigantesque dans la lutte anti-blanchiment, beaucoup plus que dans le domaine prudentiel. Dans celui-ci, nous regardons des agrégats, par exemple les bilans des banques. Dans la lutte contre le blanchiment, il faut détecter des opérations individuelles et il y en a des milliards tous les jours !

La Commission européenne a proposé des effectifs de 250 personnes. Cela suffit ?

C’était la proposition initiale de la Commission. J’espère que ce sera davantage. Nous sommes 1 300 à la supervision bancaire. Le calibrage du texte actuel devrait arriver à plus de 400 personnes, mais le Conseil veut une montée en puissance.

Le lieu du siège de la future autorité est-il important ?

Il peut en effet y avoir une capacité d’attractivité plus grande dans certains lieux que dans d’autres, mais en tant qu’autorité européenne, nous sommes totalement neutres sur le sujet.

L’accès aux données est le nerf de la guerre. Mais n’est-il pas gêné en Europe par le règlement sur la protection des données ou par la récente décision de la Cour de justice de l’UE sur l’accès au registre des bénéficiaires effectifs ?

Il y a bien sûr une tension inhérente car toutes les informations qui ont un intérêt pour le blanchiment sont confidentielles par définition. La lutte contre le blanchiment a d’ailleurs commencé à exister quand il a été décidé de lever le secret bancaire. En Europe, nous avons des règles plus restrictives qu’aux États-Unis. Mais la directive sur la lutte anti-blanchiment doit justement légitimer l’échange transfrontière des données et l’approfondir. Aujourd’hui, les données existantes sont écartelées entre toutes les autorités nationales, ce qui limite l’efficacité de la coordination.

C’est ce qu’on a vu dans le cas de Danske Bank

C’est très clair et j’espère que ces problèmes ne se poseront plus. Mais pour cela, le rôle de l’AMLA de mise en commun des données ne doit pas être limité à sa compétence de supervision directe. L’AMLA va superviser directement seulement quarante-cinq établissements mais on parle au total de milliers d’établissements à surveiller par l’intermédiaire des autorités nationales…

Par exemple ?

Les banques, les établissements de paiement, les changeurs manuels, les assurances, les entreprises d’investissement et bien sûr les prestataires de services sur les cryptoactifs. Et sur la partie circulation de l’information, il doit y avoir une coopération entre les cellules de renseignement financier – Tracfin en France. Et là leur rôle va au-delà du système financier, on parle de dizaines de milliers d’acteurs : les casinos, les avocats, les agences immobilières…

On ne peut pas craindre une interférence des États ?

Les États voient bien que c’est un problème auquel ils n’arrivent pas vraiment à faire face. Le cas Danske a été très utile d’une certaine façon car le Danemark ne se voyait pas comme très complaisant vis-à-vis du blanchiment et s’est trouvé montré du doigt. On s’est rendu compte que le cadre n’avait pas permis une supervision efficace du risque de blanchiment dans la succursale en Estonie. Après, vous avez vu des tas de scandales par exemple en Suède, aux Pays-Bas… Les États ne veulent pas être surpris par un scandale et être accusés de ne pas avoir fait le nécessaire pour le prévenir, car dans ce cas, ils risquent un problème réputationnel très grave.

Pourquoi la BCE n’assume pas ce rôle de supervision ?

Nous sommes très intéressés pour qu’il y ait un développement de l’européanisation dans l’AML car on voit bien que c’est absolument nécessaire, mais la Banque centrale européenne est une institution régie par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui ne peut être modifié qu’à l’unanimité des Vingt-Sept. Celui-ci dit qu’on ne peut pas s’occuper des assurances et qu’on ne peut avoir qu’un rôle prudentiel. Or personne n’a vraiment d’appétit pour changer le traité européen en ce moment. En revanche, on veut un cadre qui permette de coopérer très bien avec cette autorité.

Est-ce que l’efficacité ne dépend pas tout simplement des montants des sanctions. Aux États-Unis, elles se chiffrent en milliards. En Europe, en millions…

C’est vrai que ce sont deux mondes différents. C’est lié au fait que les Américains ont une conception très économique de la sanction alors qu’en Europe, on a plutôt une culture de la sanction pénale. Mais on a un peu évolué. Il y a des pays d’Europe où l’approche était purement pénale et où il n’y avait pas de sanction du tout dans la partie prévention, qui concerne l’échange d’informations entre les banques et les unités d’investigation. Mais il manque encore une approche coordonnée.

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