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Entretien accordé au journal Le Monde

Entretien avec Andrea Enria, président du conseil de surveillance prudentielle de la Banque centrale européenne, accordé à Véronique Chocron le 10 février 2021 et publié le 1er mars 2021

1er mars 2021

La pandémie de coronavirus (COVID-19) a débuté il y a onze mois. Les banques européennes sont-elles aujourd’hui solides ? Une crise bancaire et financière peut-elle être exclue ?

Les banques européennes sont actuellement en assez bonne position, en dépit de la crise sanitaire. La crise économique en cours n’a pas été causée par une prise de risque excessive ou par des comportements abusifs des banques, comme cela avait été le cas lors de la crise financière de 2008. Les banques pâtissent de la forte récession déclenchée par la pandémie, au même titre que les autres entreprises. Ces dix dernières années, beaucoup a été fait pour renforcer la réglementation du système financier, à travers l’imposition de coussins de fonds propres ou par l’amélioration de sa capacité de résistance en période de ralentissement économique. Aujourd’hui, les ratios de fonds propres durs des banques européennes, l’un des principaux indicateurs utilisés par les contrôleurs prudentiels pour évaluer la résistance des établissements à un choc éventuel ou à une détérioration possible des conditions macroéconomiques, se situent à leurs plus hauts niveaux depuis l’établissement de l’union bancaire. Les banques sont donc en mesure, dans cette période difficile, d’absorber des pertes importantes tout en continuant de soutenir les ménages et les entreprises, quelle que soit leur taille.

Par ailleurs, la baisse abrupte de l’activité économique provoquée par la pandémie n’a pas entraîné, jusqu’à présent, de hausse des prêts non performants. Selon les dernières informations dont nous disposons, l’encours de prêts non performants détenus par les établissements importants participant à l’union bancaire s’élevait à €485 milliards d’euros fin septembre 2020 (soit moins de 3 % du total des prêts), contre un peu moins de 1 000 milliards d’euros en 2015 (plus de 7 % du total).

Cela étant, je voudrais préciser que les retombées de la pandémie ne sont pas encore pleinement reflétées dans les bilans des banques. C’est pourquoi nous demandons aux banques d’accorder encore plus d’attention au risque de crédit. Selon de nombreux observateurs, en effet, les défaillances d’entreprises pourraient se multiplier lorsque les pouvoirs publics lèveront les mesures de soutien. Il est par conséquent essentiel que les banques gèrent leur risque de crédit de façon proactive, qu’elles reclassent leurs prêts au cas par cas et qu’elles assurent un niveau prudent de provisions. Les banques doivent relever de façon proactive les défis auxquels elles sont confrontées afin de pouvoir contribuer à une reprise économique rapide.

Pourquoi les banques ne sont-elles pas des entreprises comme les autres ?

Les banques jouent un rôle central dans notre économie. Elles acceptent les dépôts des ménages et des entreprises et accordent des prêts à d’autres ménages et entreprises à des fins de consommation ou d’investissement. Ce faisant, elles pratiquent la transformation de la liquidité et des risques : elles transforment des dépôts à vue très liquides en prêts à plus long terme, soutenant ainsi l’activité économique, et elles ont recours à des instruments de financement considérés comme peu risqués (dépôts et dette placée sur le marché) pour investir dans des prêts et titres plus risqués. Ces fonctions sont cruciales pour soutenir l’économie. Cependant, l’asymétrie entre les caractéristiques de liquidité et de risque des avoirs et engagements des banques ainsi que le niveau de levier potentiellement élevé de leurs opérations pourraient les rendre vulnérables en cas de récession ou de crise majeure. Afin de rester solides et de pouvoir protéger les dépôts, les banques doivent être en mesure d’absorber des pertes tout en continuant à remplir leurs fonctions essentielles, aussi bien en période favorable que défavorable. Et c’est là que nous intervenons : notre tâche, en tant qu’autorité prudentielle, consiste à surveiller la solidité financière des banques. Il est en effet de l’intérêt de tous que les banques soient capables de résister aux tensions.

Dans le cas précis de la pandémie de COVID-19, nous pouvons dire que les banques étaient bien plus solides au début de cette crise qu’elles ne l’étaient au début de la crise financière mondiale. Cette fois, les banques ne sont pas la source du problème, mais elles ont un rôle crucial à jouer dans la solution : leur capacité à absorber les pertes et à continuer d’octroyer des prêts à l’économie est capitale pour assurer une reprise soutenue.

Les liens entre banques et pouvoir ont toujours été étroits, surtout en France. En quoi cela est-il utile ? Ou est-ce, au contraire, dangereux ? Faudrait-il réglementer les allers-retours entre les autorités financières/le ministère des Finances et les organes de direction des banques, ou ces liens étroits présentent-ils des avantages ?

Lorsque j’ai commencé ma carrière dans la supervision bancaire, à la fin des années 1980, le secteur public (au niveau national comme local) détenait une part très importante du marché bancaire dans plusieurs États membres. Les dirigeants des banques étaient directement nommés par les autorités, souvent sur la base de leur affiliation politique plus qu’en fonction de leur expertise technique. Même après l’ouverture du secteur bancaire aux capitaux privés et la transformation de nombreux établissements en sociétés par actions, au cours des années 1990, les gouvernements nationaux et les autorités financières ont conservé certains liens avec les banques locales. Il arrivait fréquemment que les outils réglementaires et prudentiels soient utilisés de façon à favoriser les acteurs nationaux par rapport à leurs concurrents européens ou internationaux, ce qui a conduit à un affaiblissement des filets de sécurité constitués contre les crises bancaires et contribué à créer les conditions de la Grande crise financière. Les réformes réglementaires adoptées ces dernières années, après la mise en place de normes internationales élevées et la centralisation des responsabilités prudentielles au sein de l’union bancaire, ont permis de rétablir une distance salutaire entre pouvoirs publics et secteur financier. La véritable indépendance dont bénéficie aujourd’hui l’autorité de surveillance et l’absence de liens entre processus de décision et intérêts nationaux ont notablement amélioré l’ancien cadre institutionnel.

Les allers-retours entre autorités et banques doivent faire l’objet d’une attention particulière et de règles internes strictes. En principe, la présence d’anciens membres des autorités de réglementation dans les organes de direction des banques n’est pas une mauvaise chose : en effet, ils peuvent apporter une certaine culture de la conformité et une conscience accrue des intérêts publics en jeu dans les activités bancaires. Réciproquement, d’anciens banquiers pourraient faire bénéficier l’autorité réglementaire ou prudentielle qu’ils rejoindraient de leur connaissance cruciale des pratiques bancaires. Il convient cependant de respecter certains délais et de tenir compte des nombreux conflits d’intérêts qui pourraient naître. À la BCE, nous obéissons à des règles internes très strictes. Ainsi, lorsque j’arriverai en fin de mandat, pour éviter un possible conflit d’intérêts je devrai attendre jusqu’à deux ans avant de pouvoir accepter un poste dans le secteur financier.

À quoi ressembleront les banques à l’avenir ? Les fermetures de succursales et les suppressions d’emplois sont-elles inévitables à l’ère numérique ? Quel rôle joueront les banques si un euro numérique est lancé et si les grandes entreprises technologiques deviennent plus influentes dans le secteur des paiements ?

Il est évident que la numérisation fera partie intégrante des modèles d’activité des banques et qu’elle modifiera leur fonctionnement interne comme leurs modèles opérationnels, les forçant à investir plus dans la technologie et la transformation numérique. La révolution numérique en cours permet aux banques non seulement d’améliorer la qualité des services qu’elles offrent à leurs clients mais aussi d’accroître leur efficience en termes de coûts, ce dont elles ont grandement besoin.

On peut dire sans exagération que la pandémie actuelle nous a propulsés dans le futur. Afin d’assurer la continuité de leurs activités, les banques ont ajusté leurs modes de fonctionnement, en favorisant le travail à distance, et ont redoublé d’efforts pour fournir des produits et services numériques. Cela s’est parfois traduit par des fermetures de succursales devenues non viables et par le renforcement de la tendance à la rationalisation des réseaux, qui s’est amorcée lors de la crise financière mondiale. Certains établissements n’ont pas encore pris à bras le corps le problème de structures redondantes et de modèles d’activité non viables, de sorte que leurs coûts de fonctionnement absorbent pratiquement la totalité de leurs bénéfices. Pour eux, le processus de transformation entraînera également des suppressions d’emplois. Cependant, les banques auront aussi besoin de nouvelles compétences et de nouveaux spécialistes pour mettre au point de nouveaux produits et de nouvelles pratiques de distribution efficaces.

En ce qui concerne un euro numérique, la BCE mène actuellement une étude des avantages et défis qu’il pourrait poser. La façon dont il sera conçu jouera un rôle déterminant. Les travaux sont en cours. Un euro numérique permettrait aux particuliers d’utiliser de la monnaie électronique de banque centrale directement dans leurs transactions quotidiennes. L’Eurosystème s’efforcera, pour sa part d’éviter toute conséquence négative pour le secteur financier. Un euro numérique constituerait une nouvelle forme de monnaie pour les paiements de détail et, certainement, une réserve de valeur, mais il ne devrait en aucun cas devenir un produit de placement. Un euro numérique, comme les espèces, n’a pas vocation à être un instrument d’épargne.

Les banques étant soumises à une concurrence croissante de la part d’autres moyens et plates-formes de paiement, elles doivent trouver des solutions innovantes pour conserver une longueur d’avance. Le recours à des applications technologiques de pointe et la coopération avec les sociétés technologiques pourraient leur permettre de regrouper des produits et d’accroître la satisfaction de leur clientèle.

Comment les banques européennes peuvent-elles renouer avec la rentabilité ?

Tout d’abord, les banques peuvent réagir face à un environnement difficile en réduisant leurs coûts et en améliorant leur efficacité. Pour ce faire, elles peuvent recourir à différentes stratégies qui vont des mesures traditionnelles, comme la réduction des effectifs et la fermeture de succursales (même si, bien évidemment, ces décisions ne sont pas faciles à prendre), à l’adoption de technologies nouvelles permettant des réductions de coûts et visant à numériser les services d’intermédiation financière, notamment le développement de la banque en ligne. Outre les réductions de coûts, les banques peuvent également améliorer leur capacité à produire des bénéfices, par exemple, par la numérisation, comme je viens de le dire, ou par le renforcement de leurs activités générant des commissions. Enfin, l’environnement actuel est propice à une consolidation du secteur, qui pourrait créer plus de synergies et d’efficience, en résorbant les excédents de capacité qui subsistent depuis la Grande crise financière.

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