- ENTRETIEN
Entretien avec Revue Banque
Entretien avec Édouard Fernandez-Bollo, membre du conseil de surveillance prudentielle de la Banque centrale européenne, accordé à Laure Bergala le 11 décembre 2020 et publié le 15 janvier 2021
15 janvier 2021
De votre point de vue de contrôleur prudentiel, dans quelle situation se trouvent actuellement les banques européennes ?
Au début de la pandémie de coronavirus (COVID-19), les banques disposaient d’une capitalisation plus solide, de coussins de liquidité plus élevés et d’actifs d’une meilleure qualité que lors des crises précédentes. Cette situation résultait d’un renforcement de la réglementation financière au cours des dernières années et de l’introduction de normes prudentielles plus strictes depuis la mise en place de la supervision bancaire européenne.
Le secteur bancaire a évolué de façon positive sur trois fronts : les banques ont bien réagi aux défis opérationnels posés par la pandémie et les confinements, elles ont continué de fournir des crédits à l’économie et elles ont, dans la plupart des cas, maintenu leur niveau de fonds propres jusqu’à présent.
Nous pouvons en conclure que, cette fois, les banques européennes ont contribué à la solution, contrairement à ce qui s’était passé lors de la crise de 2008 !
Selon une analyse de vulnérabilité que nous avons menée en 2020, le secteur bancaire de la zone euro est solide, résilient et, donc, en mesure de remplir son rôle de financement de l’économie. Évidemment, en cas de réalisation d’un scénario économique sévère, plusieurs établissements bancaires devraient prendre des mesures pour continuer de satisfaire à leurs exigences minimales de fonds propres, mais, d’après nos estimations, le déficit global de fonds propres resterait limité.
Il faut néanmoins se garder de tout excès de confiance. Il est évident que les répercussions négatives d’un tel choc sont inévitables et que les évolutions positives s’expliquent par les mesures de soutien exceptionnelles prises par les autorités publiques. Or, ce soutien public va nécessairement prendre fin, et nous devons nous y préparer.
Selon vous, comment devrait évoluer le niveau des prêts non performants (non-performing loans, NPL) dans le bilan des banques ? Où en êtes-vous des réflexions sur un dispositif européen de cession des NPL ?
La crise actuelle n’a pas encore entraîné de forte augmentation du volume des prêts non performants. Au contraire, au deuxième trimestre 2020, le ratio de NPL des banques importantes s’établissait à 2,94 %, contre 3,22 % au quatrième trimestre 2019. Cependant, s’il est important d’aider les banques à faire face au ralentissement en cours, il est tout aussi important de s’assurer qu’elles continuent de détecter et de gérer correctement toute détérioration de la qualité de leurs actifs, même en cas d’expositions faisant l’objet de moratoires de paiement ou de garanties publiques, conformément aux règles en vigueur et aux lignes directrices de la BCE en ce qui concerne les prêts non performants. Les banques doivent notamment se mettre très tôt en contact avec les débiteurs en difficulté et leur fournir des solutions appropriées en temps utile. Il est primordial de détecter les arriérés de paiement à un stade précoce, de reclasser les expositions au cas par cas et de prendre des décisions prudentes en matière de constitution de provisions. Les banques doivent distinguer de manière proactive les clients en difficulté viables de ceux qui ne sont pas viables, en recourant à des pratiques de restructuration et à des mesures de renégociation (forbearance) de la dette propres à chaque emprunteur.
Pour répondre à votre deuxième question, la BCE estime que, dans un scénario sévère mais plausible, les NPL des banques de la zone euro pourraient atteindre 1 400 milliards d’euros, soit un niveau bien supérieur à ceux de la crise financière de 2008 et de la crise de la dette souveraine européenne de 2011. Nous avons donc besoin d’une réponse européenne rapide. Le président du conseil de surveillance prudentielle, Andrea Enria, a récemment indiqué qu’une société européenne de gestion pouvait être une solution efficace. On pourrait aussi envisager un réseau de sociétés nationales de gestion, qui devrait toutefois être conçu de manière adaptée. Un tel réseau serait beaucoup plus efficace, pour contrer la détérioration de la qualité des actifs, qu’une multitude d’initiatives nationales non coordonnées. Il permettrait aux banques européennes de continuer à soutenir leurs clients viables, qu’il s’agisse de ménages ou d’entreprises, tout en demeurant solvables.
Quels sont les grands dossiers de 2021 ? La crise a-t-elle changé vos priorités ?
Premièrement, le risque de crédit sera notre priorité majeure. De notre point de vue, c’est le principal défi à venir pour le secteur bancaire européen. Dans le cadre de notre dialogue prudentiel avec les banques, nous allons nous attacher à réduire au minimum les effets de falaise (cliff effects) qui pourraient se produire lorsque les moratoires viendront à échéance. À cet égard, les autorités de surveillance comme les banques doivent rester agiles et prêtes à s’adapter aux nouvelles évolutions que la pandémie pourrait encore provoquer.
Deuxièmement, nous devrions nous servir de la crise de la COVID-19 comme d’un levier supplémentaire pour remédier, plus activement, aux faiblesses structurelles du secteur bancaire européen (capacités excédentaires, rentabilité peu élevée, faible rapport coût-efficacité, préparation insuffisante aux risques climatiques, par exemple).
Comment les enjeux climatiques sont-ils pris en compte ?
À la fin 2020, nous avons publié, après une consultation publique, notre Guide relatif aux risques liés au climat et à l’environnement. Ce guide expose comment les banques devraient prendre en compte ces risques dans leurs cadres de gouvernance et de gestion des risques ainsi que dans leurs stratégies opérationnelles. Il souligne également que la BCE attend davantage de transparence de la part des banques, à travers l’amélioration de leur communication sur le climat et l’environnement.
Au premier semestre 2021, nous allons demander aux banques d’évaluer leurs pratiques au regard des attentes prudentielles formulées dans le guide et d’établir des plans d’action en conséquence. Nous passerons ensuite en revue les auto-évaluations et les plans des banques, puis en parlerons avec elles dans le contexte du dialogue prudentiel.
En 2022, nous évaluerons toutes les banques soumises à notre surveillance directe, et nous prendrons des mesures de suivi concrètes. Par ailleurs, nous avons décidé de faire porter notre test de résistance prudentiel pour 2022 sur les risques liés au climat. Nous donnerons plus de détails à ce sujet dans le courant de l’année 2021.
Quel est le programme des tests de résistance pour 2021, étant donné que ceux prévus pour 2020 ont été repoussés à 2021 ?
Par rapport à 2020, l’Autorité bancaire européenne (ABE) a actualisé sa méthodologie pour tenir compte des moratoires sur les paiements et des garanties publiques en lien avec la crise de la COVID-19. Les tests de résistance devraient commencer en janvier et s’achever en juillet. Alors qu’une forte incertitude pèse sur l’évolution macroéconomique, les résultats de ces tests seront importants pour déterminer si les banques sont capables de résister et de continuer à financer l’économie réelle. Les autorités de surveillance s’appuieront sur ces résultats dans le cadre du processus de contrôle et d’évaluation prudentiels (Supervisory Review and Evaluation Process, SREP).
La supervision bancaire de la BCE a assoupli les contraintes en matière de fonds propres et de liquidité, de traitement réglementaire des prêts garantis par l’État ou encore de mise en œuvre de la norme IFRS 9. Les banques en ont-elles tiré parti ?
Je tiens à être clair : nous n’avons pas modifié les règles, mais indiqué comment les utiliser pour répondre de façon rapide et flexible à la situation exceptionnelle créée par la pandémie. En outre, des synergies importantes existent entre nos mesures prudentielles, les actions de politique monétaire de la BCE et l’énergique réaction d’ordre budgétaire.
Les deux grands principes directeurs de notre train de mesures – soutien prudentiel et conservation des fonds propres – visaient à assurer que les banques continuent de financer les entreprises en difficulté, mais viables, sans durcir leurs critères d’octroi de crédit. Nous avons donc accordé aux banques une flexibilité temporaire en matière prudentielle, pour leur faciliter la mise en œuvre des prêts garantis par l’État ainsi que des programmes de moratoires sur les prêts. Nous avons par ailleurs autorisé les banques présentant un niveau élevé de NPL à reporter la soumission de leurs plans d’amélioration de la qualité des actifs. Mais, évidemment, nous attendons de toutes les banques qu’elles restent fidèles à des pratiques correctes de détection des risques et qu’elles gèrent activement leurs NPL. Nous avons également précisé que notre réponse aux événements serait réexaminée et ajustée au fur et à mesure de leur évolution.
À propos de la norme IFRS 9, nous avons donné aux banques des indications sur l’estimation des pertes de crédit attendues dans un contexte d’incertitude accrue. Ces orientations sont conformes aux normes comptables, et nous attendons des banques qu’elles continuent à les suivre même après la fin de la pandémie. Pour résumer, nous donnons aux banques des indications dans le cadre des normes comptables en vigueur afin d’éviter une procyclicité excessive lors de l’application de ces normes.
Nous avons aussi vivement encouragé les banques ne l’ayant pas encore fait à opter pour les règles transitoires relatives à l’IFRS 9. Cette recommandation avait pour objectif de contribuer à réduire la volatilité des fonds propres réglementaires des banques.
Je reviens à présent à votre question. D’après une étude récemment menée par l’Autorité bancaire européenne (ABE), nos mesures de soutien ainsi que les moratoires et les garanties d’État ont permis aux banques d’octroyer des prêts supplémentaires à bon nombre d’entreprises touchées par la crise.
Nous sommes maintenant passés à une nouvelle phase de notre stratégie prudentielle, celle où nous nous préparons au choc. Au cours des prochains mois, nous resterons attentifs au niveau de préparation des banques, qui doivent faire face à une hausse potentielle du volume des NPL et limiter les effets de falaise. Nous comptons également nous pencher de plus près sur leurs pratiques et procédures concernant les NPL.
Les fusions et acquisitions transfrontière sont-elles toujours une priorité ?
La BCE ne privilégie aucun type de consolidation, mais examine chaque opération d’un point de vue prudentiel, en veillant à la viabilité de l’opération au vu des critères énoncés dans notre guide relatif à l’approche prudentielle de la consolidation dans le secteur bancaire.
Bien sûr, nous savons que les fusions et acquisitions sont actuellement beaucoup plus difficiles à réaliser au niveau transfrontière qu’au niveau national, car le marché bancaire européen n’est pas suffisamment intégré. Nous devons avancer sur ce dossier. Pour ce qui est de la supervision bancaire, renforcer le rôle des plans préventifs de rétablissement et de résolution de groupe devrait créer des incitations adéquates à la passation d’accords de soutien de groupe. La fourniture d’un soutien financier par l’entité mère devrait être liée à des indicateurs de redressement internes au niveau de la filiale : cela faciliterait l’octroi de dérogations transfrontière en matière de liquidité. Ces mesures participeraient certainement à apaiser les inquiétudes quant aux risques inhérents aux groupes bancaires transfrontière et nous rapprocheraient d’un marché bancaire européen véritablement intégré.
Plus généralement, l’Europe doit encore progresser sur la voie de l’achèvement de l’union bancaire. Il lui faut harmoniser le cadre européen de gestion des crises, mettre en place le système européen d’assurance des dépôts et parvenir à un corpus réglementaire unique, sans options ni biais nationaux.
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