- INTERVIEW
Entretien avec Revue Banque
Entretien avec Édouard Fernandez-Bollo, membre du conseil de surveillance prudentielle de la Banque centrale européenne, accordé à Sophie Gauvent le 2 mars et publié le 27 mars 2020
27 March 2020
Revue Banque : Pour préparer les banques de la zone euro à la fin de la période de transition, quels sont les scénarios envisagés par la BCE ?
Edouard Fernandez-Bollo : La BCE ne peut pas s’exprimer sur l’accord qui se négocie actuellement entre l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni. En revanche, nous pouvons évoquer deux éléments tangibles :
- nous avons une date à laquelle, sans accord, le Royaume-Uni sera traité comme un pays tiers,
- à la fin de la période de transition, un régime d’équivalence s’appliquera, ou pas.
RB : Dans l’hypothèse où il n’y aurait pas d’équivalence, quelles seraient les conséquences pour les banques européennes et y sont-elles préparées ?
EFB : Ce scénario de Brexit sans équivalence correspond exactement à celui sur lequel nous avons travaillé depuis maintenant deux ans avec les établissements de crédit, que l’on appelait initialement « hard Brexit » (Brexit dur). Il s’agirait d’un Brexit dur différé à la fin de la période de transition.
Les établissements de crédit nous ont soumis des plans permettant de gérer cet éventuel Brexit dur. Et la BCE a déjà eu l’occasion de dire qu’elle estimait que les établissements sont en mesure de gérer les risques. Nous utilisons le temps qu’il nous reste (jusqu’à la fin de l’année 2020) pour veiller à ce que ces plans soient vraiment bien appliqués.
RB: Redoutant de prendre des décisions coûteuses qui pourraient s’avérer superflues, les banques attendent-elles le tout dernier moment pour s’adapter à un éventuel hard Brexit ?
EFB: En effet, les banques essayent de minimiser leurs coûts, mais nous les poussons à renforcer leur préparation. Bien sûr, il peut y avoir des degrés de préparation différents selon les établissements. Nous effectuons donc une surveillance de chaque établissement pour que chacun soit bien préparé.
RB : Les banques non européennes qui, après la période de transition, accéderont au marché européen au travers de filiales basées dans l’UE devront-elles faire en sorte que ces filiales ne soient pas des « coquilles vides » ?
EFB : Il n’y a aucun risque de voir des « coquilles vides » s’installer en zone euro. Notre doctrine a été exposée dans un document publié en août 2018 et la règle est très simple : toutes les activités liées à des produits européens ou à des clients européens doivent être gérées et contrôlées depuis des entités situées dans l’UE.
La BCE n’autorisera jamais de coquilles vides dans la zone euro : une filiale bancaire présente en zone euro doit avoir une activité réelle en termes de gestion, de contrôle et de gouvernance des risques. Et pour ce qui concerne les pays de l’UE qui sont hors zone euro, l’Autorité bancaire européenne (ABE) a adopté une doctrine semblable à la nôtre. Quant aux activités de marché dépendant de l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), cette Autorité partage la même vision.
RB : Dans une démarche d’arbitrage réglementaire, une banque non européenne pourrait-elle choisir de créer dans l’UE non pas une filiale mais une ou plusieurs succursales pour accéder aux clients situés dans l’UE ?
EFB : Si une banque anglaise, ou américaine, par exemple, crée une filiale dans un pays de la zone euro, cette filiale sera nécessairement agréée par la BCE. En revanche, s’il s’agit d’une succursale, c’est le superviseur national qui donne l’agrément et qui est la seule autorité compétente pour effectuer la supervision. Cette succursale n’aura le droit d’exercer que dans le pays où elle aura reçu son agrément. Mais une banque peut créer 27 succursales, dans les 27 pays de l’UE, et avoir ainsi une activité dans l’UE tout en n’étant régie que par les lois nationales de ces 27 pays. Il existe donc une possibilité d’arbitrage réglementaire entre, d’une part, la surveillance par la BCE dans le cas de la création d’une filiale et, d’autre part, la surveillance par des autorités nationales dans le cas de la création de succursales. Cette situation est regrettable et devrait inciter les Européens à mettre en place des mécanismes qui assurent au moins une plus grande harmonisation de l’exercice de ces compétences nationales, sinon éventuellement une centralisation, qui n’avait pas été prévue lors de la création de l’union bancaire.
RB : Qu’apporterait un régime d’équivalence aux banques non européennes ?
EFB : Ce que changerait l’équivalence, c’est la possibilité pour des établissements qui ne sont pas dans la zone euro d’agir dans la zone euro, plus ou moins selon le domaine d’activité d’ailleurs. Pour les activités bancaires classiques comme la réception de dépôts et l’octroi de crédits, l’équivalence ne changerait pas grand-chose. En revanche, un régime d’équivalence pourrait avoir des conséquences pour la prestation de services d’investissement : dans ce domaine, des banques non européennes, opérant à partir du Royaume-Uni, pourraient offrir un nombre limité de services à des clients installés dans la zone euro, qu’ils ne pourraient pas offrir sans équivalence. C’est pourquoi les discussions que mène la Commission européenne sur les conditions à mettre à cette équivalence sont très importantes. Il convient de rappeler que, pour les banques soumises à sa supervision, la BCE, depuis l’été 2018, a publié et appliqué une doctrine : toutes les activités liées à des produits européens ou à des clients européens doivent être gérées et contrôlées depuis la zone euro, dans les entités européennes des banques.
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