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Entretien avec Les Echos

Entretien de Danièle Nouy, présidente du conseil de surveillance prudentielle de la BCE, accordé à Pauline Houédé et Edouard Lederer, le 3 septembre 2018

Dix ans après la chute de Lehman Brothers, comment est-ce que vous résumeriez ce qui s’est produit ?

Nous avons payé au prix fort un manque de rigueur dans la réglementation et la supervision avant la crise. De plus, à l’époque, les autorités anticipaient plutôt des crises individuelles, banque par banque, mais n’étaient pas forcément préparées à une crise globale qui s’étendrait à un grand nombre d’établissements dans un grand nombre de pays. Le prix payé a été toutefois moins élevé en France, car nous avions connu une crise antérieure, dans les années 90 et la supervision était devenue très intrusive pour les banques et très attentive à leur appétit au risque. Je remarque que les banques françaises présentaient avant la crise des bilans et des fonds propres de meilleure qualité, par comparaison à d’autres pays.

Les Etats-Unis portent-ils la responsabilité de la crise financière ? 

Concrètement, la crise est partie des Etats-Unis, où des crédits hypothécaires ont été accordés de façon laxiste, puis titrisés, pour être cédés à des investisseurs, mais dans le fond, l’Europe n’aurait pas été autant touchée si ses banques n’avaient pas acheté ces produits avec, parfois, une certaine frénésie. Nous ne sommes pas directement responsables de la crise, mais nous ne pouvons pas blâmer seulement les Etats-Unis. Par la suite, la crise y a été traitée plus rapidement qu’en Europe, de façon «chirurgicale », en fermant les banques en difficulté ou en accompagnant la restructuration du secteur. Notre approche a été plus « médicale » en Europe, au point que nous sommes encore, dix ans plus tard, à la fin de la phase de « transition » pour l’application des nouvelles réglementations, notamment en ce qui concerne le renforcement des fonds propres.

Peut-on dire que la finance est plus sûre aujourd’hui ?

Quand il y aura une nouvelle crise – et il y en aura une – le système sera en effet mieux préparé à y faire face. Tout le travail mené depuis dix ans vise à rendre cette nouvelle crise moins probable, et aussi peu violente que possible. Il vise aussi à mettre en place les outils nécessaires pour traiter les difficultés auxquelles nous serons confrontés de façon ordonnée, afin d’en réduire l’impact sur les autres acteurs financiers et sur l’économie. C’est ainsi que les banques sont désormais mieux capitalisées, que les règles de liquidité ont été renforcées et que les nouvelles titrisations sont beaucoup plus raisonnables. Nous avons pu obtenir un renforcement des règles, au travers des accords de Bâle 3, ainsi que de nouvelles normes comptables, que nous, superviseurs, demandions depuis très longtemps. Enfin, nous avons créé une supervision bancaire européenne, plus indépendante, qui réduit les biais nationaux.

En a-t-on fini avec les banques « trop grandes pour faire faillite » ?

La mise en place de « plans de rétablissement préventif », fournis par les banques et de « plans de résolution », préparés par les autorités de résolution, ou encore la définition d’exigences réglementaires supplémentaires pour les « banques systémiques » contribuent à traiter ce problème. En Europe, toutefois, la taille des banques depuis dix ans n’a pas tellement augmenté, à l’inverse de ce qui s’est produit aux Etats-Unis, où la crise a débouché sur des fusions rapides. De plus, dans le cadre de l’union bancaire, la taille des établissements de crédit doit désormais être appréciée à l’échelle des dix-neuf pays de la zone euro, et non plus d’un seul pays. J’ajoute que nous avons besoin de quelques « champions européens », qui soient des acteurs globaux, capables de servir les besoins des grandes entreprises européennes et de concurrencer avec succès les autres acteurs financiers au niveau mondial. Une telle consolidation contribuerait aussi à traiter le problème de profitabilité des banques européennes. Un certain nombre d’entre elles ne gagnent pas le coût de leur capital. Cette situation n’est pas tenable sur la durée.

Les régulateurs paraissent en revanche s’intéresser assez peu aux risques de dérivés, ou encore à la dette souveraine…

On fait ce qu’il faut sur les produits dérivés ; nous avons les capacités nécessaires pour surveiller ces opérations. Par ailleurs, l'appétit au risque des banques et donc leur intérêt pour les produits les plus complexes a aussi fortement diminué avec la crise, même s’il peut repartir. En revanche, de mon point de vue, le législateur européen pourrait faire plus pour nous dans ce domaine, en transposant complètement la réforme du comité de Bâle sur les activités de marché (le « trading book ») et pas simplement sous l’angle de la transmission d’informations. Cela nous donnerait de meilleurs outils ! Sur le souverain, il est clair que l'on a appris avec la dernière crise qu'il n'y a pas d'actifs sans risque. On peut perdre son argent en investissant dans des titres souverains. C'est un sujet délicat et hautement politique évidemment. Il faudrait avancer au niveau international et ce n'est pas forcément l'Europe qui freine.

Quelles sont aujourd’hui les priorités du superviseur ?

D'abord, la rentabilité des banques en Europe. Les banques doivent pouvoir dégager suffisamment de bénéfices pour générer du capital en interne ou pour aller chercher ce capital sur le marché quand elles en ont besoin, ce qui implique d’être capable de payer un dividende convenable aux investisseurs. Ensuite, l'harmonisation de la réglementation est aussi très importante. Le cadre législatif reste très fragmenté en Europe. Le résultat, c'est que le mécanisme de surveillance unique (MSU) supervise les banques de la zone euro avec 19 cadres juridiques différents. C'est comme si l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) supervisait les banques françaises avec des règles différentes pour celles qui sont en Bretagne et celles qui sont en Normandie ! Enfin, il reste la question des créances douteuses…

Justement, les banques européennes en auront-elles bientôt fini avec elles ?

Les bilans des banques comptent aujourd'hui 680 milliards d'euros de prêts non performants, contre à peu près mille milliards quand le MSU a commencé son activité en 2014. Les choses avancent bien, mais il reste du travail ! Après avoir publié des recommandations qualitatives sur le traitement des prêts non performants, nous y avons ajouté nos attentes en ce qui concerne le provisionnement des flux de nouvelles créances douteuses : les banques ont deux ans pour provisionner totalement les créances non garanties et sept ans pour les créances garanties. Nous sommes maintenant dans la phase la plus difficile, qui consiste à appliquer progressivement ces attentes aux stocks des anciens prêts non performants. Il n’y a pas de raison en effet pour que des créances qui présentent les mêmes risques dans le bilan d’une banque soient durablement provisionnées différemment.

Existe-t-il un risque d’une « fatigue réglementaire » ?

Malheureusement oui ! A mon sens, cette fatigue vient notamment du temps assez long que l'on a donné aux banques pour mettre en œuvre complètement la réglementation que l'on a commencé à dessiner il y a dix ans. On a décidé, après la crise, et pour de bonnes raisons, d'être plus rigoureux. Ce n'est pas parce que dix ans ont passé et que l'on a un peu oublié la gravité de la crise et de ses conséquences, que l'on peut finalement écouter les sirènes de la déréglementation. Les réformes ont été rigoureuses, mais elles étaient nécessaires. Il faut maintenant appliquer complètement ces nouvelles règlementations, avant d’envisager le cas échéant de les changer. L'Europe a par ailleurs tendance à croire qu'elle est financièrement extrêmement vertueuse et que les autres législateurs sont moins rigoureux. Permettez-moi de vous rappeler que lorsque le comité de Bâle a procédé à l'évaluation de l'application des textes bâlois en 2014-2015, une seule région du monde a été jugée «materially non compliant», soit «non conforme de façon significative», et c'était l'Europe !

Votre mandat s’achève fin 2018. Y-a-t-il un profil « idéal » pour occuper  ce poste ?  

L’incarnation de la fonction est une donnée importante pour une jeune institution comme la supervision bancaire européenne. Nous l’avons assurée avec Sabine Lautenschläger, et je regrette que nos mandats s’achèvent en même temps, à quelques semaines près.

Cette fonction revêt toutefois une dimension politique…

Lorsque je dirigeais l’ACPR en France, les superviseurs communiquaient assez peu. Mais au niveau européen, et après une crise financière qui a eu des conséquences graves pour les citoyens européens -certaines personnes ont perdu leur emploi ou leur logement-, sachant par ailleurs que certaines de nos décisions – comme celle de ne pas sauver une banque – peuvent avoir de lourdes conséquences, j’ai intégré dès le début la communication dans les objectifs liés à ma tâche. Nous devons rendre des comptes et expliquer ce que nous faisons. Nous avons « la responsabilité politique » d’être transparents ; et c’est aussi la raison pour laquelle je me rends toujours avec plaisir au Parlement européen pour répondre aux questions des parlementaires. 

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